Après avoir raccroché, Lanita remit son téléphone dans la poche de son jean et retourna à l’entrepôt. Elle était soulagée de savoir que sa nièce était en sécurité, et trouvait rassurant qu’elle ait pu se rendre aussi loin. La ville était assez grande pour lui permettre de se cacher. S’il décidait d’aller la trouver là-bas, elle aurait le temps d’avertir Fallon, se disait-elle. Oui, cela lui donnait espoir, mais elle se sentait aussi un peu coupable d’avoir menti.
Si lui n’avait pas encore remarqué que Fallon était partie, son absence n’était pas complètement passée inaperçue. Le frère aîné de David avait demandé de ses nouvelles à Lanita, et il n’était pas du genre à se mêler de ses affaires, comme la plupart des gens qui vivent dans des petites communautés, d’ailleurs. Lanita était certaine que ses explications l’avaient repoussé, mais plusieurs amies de Fallon l’avaient aussi appelée. Leurs intentions étaient bonnes, mais il était clair que certaines étaient surtout en quête d’informations.
Moins les gens savaient où se trouvait Fallon et ce qu’elle faisait, moins il y avait de chances qu’elle retombe dans son piège. Quand sa nièce a enfin accepté de partir, Lanita n’avait pas perdu une seconde, de peur que Fallon ne change d’avis ou ne disparaisse encore une fois. Fallon et David étaient devenus le sujet de conversation préféré au village, et tout le monde parlait de la poursuite et de l’arrestation.
Au départ, elle avait donné le bénéfice du doute à David. Elle avait essayé d’apprendre à le connaître, de comprendre ce que Fallon lui trouvait. Étant ouverte d’esprit, elle l’avait invité à plusieurs réunions de famille, mais il n’était jamais venu. Souvent, Fallon était absente, elle aussi, et elle avouait plus tard qu’elle n’était pas venue parce qu’elle et David s’étaient disputés. Un soir où il était sorti avec un ami, Lanita avait réussi à convaincre Fallon de venir passer la soirée chez elle pour manger une pizza et regarder un film, comme elles le faisaient toutes les semaines avant qu’elle ne rencontre David, deux mois plus tôt.
Quand elles se sont retrouvées seules, Lanita perçut un changement dans la voix de Fallon, quand elle se mit à raconter la fois où il avait soulevé une clôture électrique pour qu’elle puisse se glisser en dessous, et où il l’avait relâchée en plein sur son dos. Il s’était moqué d’elle pendant qu’elle le suppliait d’arrêter en criant de douleur. Elle s’efforçait manifestement de croire que c’était une blague; c’est ce qu’elle dit à Lanita, mais sa voix trahissait ses doutes.
« Il plaisantait, le courant n’était pas fort. Il a vraiment un sens de l’humour spécial, » avait-elle dit.
Lanita tenta de se concentrer sur le chariot élévateur qu’elle conduisait depuis plusieurs minutes sans vraiment y prêter attention, absorbée par ses pensées. Plus que trois heures avant la fin de son quart. Travailler de nuit était vraiment dur, mais elle aimait ces moments de solitude.
Plus tard, chez elle, elle remarqua une nouvelle brûlure de cigarette sur le fauteuil de son nouveau chum, et une nouvelle bouteille d’alcool vide au fond de la poubelle. Elle se demanda si des amis à lui étaient venus ou s’il avait bu la bouteille à lui tout seul. Toute la maison sentait le tabac; elle sentait la rage monter dans son ventre.