Dirk Thick ne s’était jamais intéressé à la politique.
Il n’avait jamais voté, et ne pensait certainement pas qu’il le ferait pour la première fois à l’âge de 90 ans. Des candidats trop zélés paradent sans cesse à sa maison de retraite.
Il les écoute toujours avec scepticisme, et n’est pas des plus chaleureux avec eux. Pour lui, il n’y a pas de différence entre eux et les vendeurs au porte-à-porte.
« Ce que vous vendez ne m’intéresse pas », dit-il à Melanie Mark, nouvelle candidate, avant même qu’elle puisse dire un mot.
Surprise, Melanie Mark ne sais pas trop comment réagir. Ses premiers pas en politique, en tant que candidate aux élections provinciales, annoncent déjà un parcours mouvementé. Des inconnus l’assaillent de questions jour après jour, et les expériences qui lui sont confiées ont provoqué en elle des émotions intenses.
Elle se contente de tendre la main et de se présenter, avant de diriger vers la sortie.
Alors qu’elle se dirige vers la porte, M. Thick repense à son nom; il l’a entendu quelque part. Il parcourt rapidement des yeux le journal du matin, dans lequel il a lu un article sur elle. Il s’enfonce dans son fauteuil. Melanie Mark avait vécu plus de tragédies avant d’avoir cinq ans que beaucoup de personnes n’en vivent au cours de toute leur vie. Son père était parti, sa mère alcoolique la battait. Elle avait subi une agression sexuelle aux mains de la personne qui s’occupait d’elle. Elle élevait seule ses enfants.
Sa vie n’avait pas été un long fleuve tranquille, et cela résonnait chez M. Thick.
En levant les yeux, il voit qu’elle est sur le point de quitter la résidence. Il se lève d’un bond, la rattrape dans le foyer et s’engage à faire quelque chose qu’il n’a jamais fait de sa toute sa vie.
Il promet de voter pour elle.
Mme Mark repense à ce jour-là, qui reste pour elle l’un des moments les plus émouvants d’une campagne qu’elle a fini par remporter haut-la-main. Elle a été élue par les citoyens de Vancouver-Mount Pleasant aux élections partielles, et est ainsi devenue la première femme autochtone à siéger au gouvernement de la Colombie-Britannique.
« Je pense que les gens se sont reconnus en moi, pas seulement parce que je suis autochtone, mais à cause de ce que j’ai vécu, et parce que je viens de Vancouver Est (East Van). Beaucoup de gens partagent ce genre d’expérience, dit Mme Mark. Je ne m’étais jamais impliquée à ce niveau avant. C’était incroyablement motivant, et très intense, d’écouter les aspirations, et les critiques, des gens. »
Son expérience a influence son programme électoral, qui comprend des stratégies de lutte contre la pauvreté, le développement de logements abordables, et des politiques qui visent à équilibrer l’économie et l’écologie dans la province. Les anecdotes qu’on lui a confiées tout au long de sa campagne n’ont fait que renforcer sa volonté de réparer un système qui, selon elle, est mal en point.
« J’ai rencontré une femme en fauteuil roulant, dit-elle. Elle avait été poignardée dans le quartier Est, et elle en était réduite à dire ‘j’aurais préféré être frappée par une voiture’ parce qu’alors, elle aurait été couverte par l’ICBC. J’étais choquée d’apprendre à quel point le système avait laissé cette femme pour compte. Je voyais peu de gens essayer de changer les choses, je veux changer les choses… le gouvernement provincial doit ouvrir les yeux et élargir le débat pour tenir compte de toute la population. »
Mais elle n’a pas beaucoup de temps pour le faire. Au cours des prochains mois, elle apprendra les ficelles de son nouveau métier, tout en restant à l’écoute de ses électeurs, avant de devoir reprendre le chemin de la campagne en 2017, pour les prochaines élections provinciales. Elle espère pouvoir inspirer davantage d’électeurs comme Dirk Thick.