En août 2016, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé un nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada. Tout nouveau candidat ou toute nouvelle candidate devra être bilingue et capable de travailler dans les deux langues officielles du pays.
Cette exigence a pour objectif de mettre tous les candidats sur un pied d’égalité, mais constitue en fait un obstacle pour des candidats potentiels issus d’autres milieux. Exiger le bilinguisme anglais-français pourrait empêcher des candidats autochtones d’être pris en considération lors de nominations à la Cour suprême du Canada.
Au moment où nous travaillons enfin à la réconciliation entre le gouvernement canadien et les peuples autochtones, il est crucial que ces derniers soient représentés au sein de la plus haute instance du pays. Les lois autochtones devraient également être prises en compte dans les délibérations qui affectent tous les Canadiens.
Dans un article paru récemment dans le Toronto Star, Me Beverley McLachlin explique que les candidats autochtones à la Cour suprême doivent « faire leurs preuves ». Elle poursuit en disant que lors de sa propre nomination, elle ne maîtrisait pas bien la langue française. Il est donc clair que le bilinguisme n’était pas jusqu’ici une exigence de départ.
D’après mon expérience, en tant que femme algonquine ayant grandi et été scolarisée dans une réserve (avant mes études supérieures et de droit), je peux attester du fait que les écoles y sont sous-financées. Les écoles des Premières nations reçoivent actuellement 30 p. cent moins de fonds que les écoles qui relèvent des provinces, et l’apprentissage du français n’y est pas une priorité.
Il est aussi évident que de nombreuses langues autochtones sont en voie de disparition, car les locuteurs sont de moins en moins nombreux. D’après l’Assemblée des Premières nations, onze familles de langues autochtones et 60 dialectes sont sur le point de disparaitre.
En tant que femme autochtone faisant carrière dans le droit, je me trouve face à un dilemme assez particulier : j’ai grandi dans une réserve du Québec, une province principalement francophone, mais je ne parle pas français. À l’école primaire, le matin était consacré aux enseignements en anglais, et l’après-midi aux enseignements dans ma langue traditionnelle (l’anishinaabé).
J’ignore si mon parcours professionnel me mènera à la Cour suprême du Canada. Je sais par contre qu’en vertu de cette nouvelle règle, je n’aurai jamais l’opportunité d’y être nommée si je n’améliore pas suffisamment mon français. Sachant que l’anishinaabé est une langue en voie d’extinction, je préfère renforcer mes compétences dans ma langue ancestrale.
Alors, comment rendre la Cour suprême accessible aux candidats autochtones? Les possibilités sont nombreuses : le processus de nomination devrait tenir compte de la maîtrise de langues ancestrales par comparaison. On peut aussi envisager d’offrir aux candidats autochtones retenus des cours d’immersion en langue française à la suite de leur nomination. Enfin, une solution à long terme consisterait à financer suffisamment les écoles des réserves pour que les enfants autochtones puissent apprendre le français au même titre que leur langue traditionnelle.
Caitlin Tolley est fière algonquine anishinabée de Kitigan-Zibi Anishinabeg au Québec. Elle termine actuellement ses études de droit à l’Université d’Ottawa.