Quand j’étais petite, mes parents m’ont dit que je pouvais faire tout ce que je désirais. Et j’ai fini par faire un tas de choses. J’ai pratiqué presque tous les sports et j’ai toujours adoré essayer de nouvelles choses. J’ai enfilé mes patins et mis mes souliers de danse dès l’âge de trois ans. J’ai joué au hockey sur glace, à la ringuette, au hockey sur gazon et au baseball. J’ai fait de la natation; j’ai joué au water-polo et au badminton; j’ai fait de la lutte et de l’athlétisme, et j’ai couru des demi-marathons. Et puis j’ai trouvé le temps de faire de la danse traditionnelle, de la gigue et de la danse carrée; de traverser notre beau pays pour partager ma culture, et jouer du violon.
Mais c’est courir qui me passionnait et mes espadrilles Nike bleues étaient précieuses. J’adorais escalader les collines, me remplir les poumons d’air frais et pouvoir pousser les limites de mon endurance. Je me sentais tellement libre.
J’ai toujours aspiré à participer aux Jeux autochtones de l’Amérique du Nord. Je rêvais de représenter ma province du Manitoba à l’échelle nationale. Mais plus important encore, je voulais représenter ma communauté et inspirer la fierté de mon peuple. Ce rêve s’est concrétisé lorsque j’ai représenté le Manitoba aux Jeux autochtones de l’Amérique du Nord à Regina quand j’avais 16 ans. Je ne peux décrire à quel point cette expérience a été extraordinaire.
J’ai couru comme je n’avais jamais couru. J’ai remporté trois médailles sur les quatre courses auxquelles j’ai participé. J’ai remporté trois médailles de bronze et je me suis classée troisième en Amérique du Nord pour les femmes de moins de 16 ans pour la course de fond. Mais ce n’est pas d’avoir « gagné » qui m’est resté. Ce que j’ai ressenti en moi n’est pas venu de gravir le podium pour recevoir ma médaille. Non, ce qui m’a « enflammée », c’est de me retrouver dans une foule de milliers d’athlètes autochtones de l’Amérique du Nord qui, eux aussi, cherchaient à représenter fièrement leur communauté. C’est à ce moment-là, lorsque j’ai brandi mon drapeau Métis, que je me suis enflammée et que je me suis sentie inspirée. Je suis rentrée chez moi avec un message : « Nous sommes la génération qui ramassera les pots cassés. Nous, les jeunes, apporterons les changements dont notre peuple a besoin. Il est temps de passer à l’action. »
Si je finis par changer quelque chose ce seront ces gens que je choisirai d’appuyer, et qui seront aussi là pour m’épauler. C’est là que tout a commencé : aux Jeux autochtones de l’Amérique du Nord de 2014. C’est de là qu’est venue l’idée.
Un an plus tard, j’ai enfilé mes espadrilles dans la cour avant de ma kookum et j’ai entrepris mon propre « Journey » (voyage, NDT) d’espoir pour les femmes autochtones disparues ou assassinées. J’ai couru 115 kilomètres en quatre jours pour les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées du Canada.
« TU AS FAIT QUOI? » me dit-on. Pourquoi faire quelque chose d’aussi farfelu et radical? Pourquoi? Parce que je n’en pouvais plus d’entendre qu’une autre femme autochtone avait disparu ou avait été assassinée. J’étais révoltée par les propos de notre ancien Premier ministre de l’époque, Stephen Harper, qui disait que la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées au Canada n’était pas assez importante. Pas assez importante? C’est une crise NATIONALE, une crise qui touche directement notre peuple. Ne me dites pas que ce n’est pas important. Il fallait absolument que j’en parle et que je recueille des fonds pour notre peuple. J’ai donc enfilé mes espadrilles et j’ai fait ce que je fais le mieux. J’ai commencé mon « voyage de l’espoir » chez mes grands-parents, à Oak Point, au Manitoba, et j’ai couru jusqu’au monument à l’effigie des femmes autochtones disparues ou assassinées à La Fourche, à Winnipeg.
Je ne vous dirai pas que c’était facile. Courir sur l’accotement de gravier d’une des autoroutes les plus dangereuses du Manitoba a été une des choses les plus difficiles que j’aie jamais faite. Courir un marathon complet tous les jours alors que tout votre corps est endolori est épuisant non seulement physiquement mais aussi émotionnellement et psychologiquement. C’est très difficile de continuer quand votre esprit vous dit d’arrêter, que c’est impossible : tout fait mal, vous êtes fatiguée, vous ne finirez pas. L’esprit prend la relève quand vous ne pouvez plus sentir vos orteils, que vos pieds sont couverts d’ampoules et ensanglantés, que vos jambes font tellement mal, qu’il fait très chaud et que vous êtes tout simplement épuisée…
Courir 115 kilomètres en quatre jours était tout un exploit pour moi, mais c’était aussi très difficile. Cette course était remplie de défis. Lorsque je l’ai annoncée, il y a eu beaucoup de commentaires positifs et on m’a souhaité bonne chance, mais personne n’a offert de m’aider. Il n’y a eu que très peu de couverture médiatique et jusqu’à ce que je commence à courir, très peu d’argent avait été collecté. Mes pairs m’ont dit que c’était débile, que cette course était impossible et que je n’y arriverais pas. J’avais demandé à des compagnies de fournir de l’argent pour payer l’essence de la voiture de sécurité, de l’eau, des fournitures médicales, de la nourriture et du papier pour les affiches informant les autres conducteurs de ma mission. Tout le monde a dit non. J’ai tout payé moi-même.
Ce sont les médias sociaux qui ont fait démarrer les choses et ont incité les autres médias à porter attention. Les postes de radio ont appelé, les stations de nouvelles m’interviewaient et les dons ont commencé à arriver. Les gens de la province, d’ailleurs au Canada et dans le monde parlaient du MMIW Journey of Hope. En quatre jours, nous avons amassé 6 101,01 $ pour la Families First Foundation, une nouvelle organisation sans but lucratif qui aide les familles touchées par cette crise.
Les opportunités liées au Journey of Hope ont été tout simplement fabuleuses. J’ai été conférencière invitée en compagnie de Madame univers 2015 lors d’un événement de collecte de fonds pour les femmes autochtones disparues ou assassinées en Colombie-Britannique, et conférencière invitée à une assemblée nationale autochtone à Regina. L’été dernier, j’ai participé à G(irls)20 Boot Camp for Brains, un événement d’une semaine où j’ai appris une foule de compétences en compagnie de 20 autres jeunes femmes leaders. Cet été, j’ai également eu la chance de rencontrer un réalisateur australien qui travaille à Los Angeles et avait entendu parler du Journey of Hope. Il désirait intégrer mon histoire dans un vidéoclip sur les droits de la femme.
Tout ce qui m’est arrivé en un an est tout à fait incroyable. Je suis très reconnaissante à tous ceux et celles qui ont cru en moi, qui ont pris le temps de présenter ma candidature pour des douzaines de prix pour que je puisse payer mes frais universitaires. Croyez-le ou non, je suis retournée à l’endroit où l’idée m’est venue : à l’Université de Regina, faculté des sciences sociales.
On loue continuellement mes efforts et mon courage pour avoir fait un changement positif et m’être fait entendre. Le Journey of Hope a été entendu exactement là où il devait l’être : d’un océan à l’autre, partout au Canada et ailleurs. Mais je ne peux pas m’en attribuer tout le crédit. Je dois remercier ma famille qui m’a soutenue, qui m’a encouragée à me dépasser et qui a vu en moi quelque chose que je n’avais pas vu moi-même. Je tiens à remercier mon frère et mon cousin Jeffery qui m’ont suivie à bicyclette pendant tout ce parcours de 115 kilomètres, et qui m’ont rappelé constamment que je n’étais pas seule dans tout cela. Je n’aurais pu le faire sans vous deux.
Et pour quiconque a besoin de l’entendre, visez haut, très haut! Vous pouvez le faire. Parce qu’il y a deux ans, j’étais dans une foule aux cérémonies d’ouverture des Jeux autochtone de l’Amérique du Nord dans mes espadrilles Nike bleues, et je ne savais pas que c’était le moment décisif de ma vie. Nous pouvons changer le monde et c’est le temps de passer à l’action. Pourquoi vouloir être ordinaire quand on peut être extraordinaire?
Tracie Léost est une jeune Métis de Winnipeg. Elle a débuté sa première année à l’Université de Regina en septembre.